Don Bluth : l’autre Disney

Retour sur la carrière de Don Bluth, réalisateur de long-métrages d’animation audacieux, et sur quatre films emblématiques de sa filmographie : Brisby et le Secret de NIMH, Fievel et le Nouveau-Monde, Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles et Charlie, Mon Héros.

Photo: Wikia.com

Les Années Disney

Né à El Paso en 1937, Don Bluth, futur concurrent de Mickey, tombe paradoxalement amoureux du dessin grâce à Blanche-Neige et les Sept Nains, qu’il voit pour la première fois à six ans. En 1954, il profite donc du déménagement familial à Santa Monica pour se présenter aux Studios Disney de Burbank, son book sous le bras. Il est aussitôt engagé en tant qu’intervalliste sur La Belle au Bois Dormant, mais quitte le studio peu après pour effectuer une mission en Argentine aux côtés de son église mormone.

Ce n’est qu’en 1971 qu’il revient chez Disney. Pas rancunier envers son déserteur (en tout cas pour le moment), le studio l’engage à nouveau comme animateur. A son actif, quatre grands classiques : Robin des Bois, Les aventures de Bernard et Bianca, Elliot et Peter le dragon ainsi que Rox et Rouky. Mais Don Bluth, frustré de ne pas retrouver dans ces films la qualité des œuvres de jadis, s’attèle à un projet fou parallèlement à sa carrière de bon petit soldat estampillé Disney : la réalisation de Banjo, un court-métrage d’animation. Pendant 5 ans, il y consacre ses week-ends, accompagné de deux autres animateurs de la maison aux grandes oreilles : John Pomeroy et Gary Goldman. Ensemble, ils fondent la compagnie Don Bluth Productions. En 1979, Banjo est enfin terminé. Ce film réunit les éléments principaux des futurs long-métrages dirigés par Don Bluth : des animaux comme personnages principaux, et un chaton/enfant mélancolique, perdu loin des siens qui tente désespérément de retrouver sa famille. Acclamé par la critique et primé dans de nombreux festivals, ce court-métrage pousse Don Bluth et ses deux compères à quitter définitivement les studios Disney, emportant avec eux une dizaine d’autres animateurs de chez Mickey.

L’indépendance

Fort de ce premier succès critique, Don Bluth et son équipe se lancent alors dans la réalisation de leur premier long-métrage, Brisby et le Secret de NIMH. Si Banjo a déjà fait preuve d’un univers quelque peu triste et mélancolique, Brisby monte d’un cran le niveau anxiogène de son récit. Il est ici question de Madame Brisby, une souris des champs veuve et mère de quatre enfants, qui doit faire face à la pneumonie de son fils Timothée. Alors que le docteur recommande de lui faire garder le lit sous peine de mort, la famille se voit menacée d’extermination par les humains et est dans l’obligation urgente de déménager. Notre héroïne n’a alors qu’un choix : se tourner vers les dangereux rats, seuls aptes à déplacer sa maison toute entière. Ces derniers ont créé une communauté dans un mystérieux rosier sauvage, où ils ont appris à lire mais aussi à maîtriser l’électricité… Sorti en 1982, ce film dénote totalement des long-métrages Disney. Univers sombre, décors chargés et étouffants, thème du deuil et de la mort omniprésent, scènes d’épouvante et tension sur le fil, avec pour souligner le tout, une bande originale inquiétante signée Jerry Goldsmith, à l’époque compositeur de la musique du film Alien. Nous sommes donc loin des comédies musicales enlevées signées Mickey…

Premier Succès

Malgré un grand succès critique, le public n’est pas au rendez-vous. Mais la qualité indéniable de ce film permet à Don Bluth de faire une rencontre déterminante : Steven Spielberg. Les deux hommes s’entendent sur un scénario faisant directement écho à leur passé familial respectif, leurs grands-parents juifs ayant fui la Russie à la fin du 19ème siècle. Dans ce film, Fievel et le Nouveau-Monde, les juifs persécutés sont représentés par des souris, tandis que leurs ennemis sont des chats. Le héros, un souriceau nommé Fievel Souriskewitz, émigre avec sa famille aux Etats-Unis car, justement selon eux, « en Amérique, il n’y a pas de chats ». Mais leur bateau en partance pour le Nouveau Monde est victime d’une tempête, et Fievel est séparé de sa famille. Arrivé seul à New-York et se croyant définitivement perdu, il sombre dans le désespoir le plus profond, jusqu’à ce qu’un choc violent le fasse sortir de sa léthargie : ses parents avaient tort, les chats peuplent bel et bien l’Amérique et leur font courir à tous un grand danger. Des épreuves qui le forcent à se battre et qui le font murir, avant de finalement retrouver les siens. Moins sombre que Brisby grâce à ses chansons permettant d’insuffler un peu d’espoir à la quête de Fievel, Don Bluth réussit cependant à conserver une certaine mélancolie poétique devenue maintenant sa signature de cinéaste. Ainsi, il n’hésite pas à laisser son jeune héros exprimer sa douleur face à sa solitude, via des scènes où l’espoir laisse rapidement place au plus grand désarroi lorsqu’il croit entendre ou apercevoir sa famille à un coin de rue. Don Bluth choisit volontairement de ne pas épargner la sensibilité du jeune public, afin de créer un lien émotionnel fort entre le spectateur et le souriceau esseulé.  Et cette fois-ci le succès est tant critique que public. Pour la première fois dans l’histoire du cinéma d’animation, un long-métrage tient tête aux films Disney.

Des films de plus en plus sombres, un succès de plus en plus grand

Spielberg et Bluth poursuivent leur travail en commun et lancent la production du Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles (1986), un dessin-animé particulièrement dur abordant frontalement la question du deuil. En effet, l’élément déclencheur du scénario n’est autre que la mort de la mère du jeune héros, l’apatosaure Petit-Pied, tuée sous ses yeux par un T-REX affamé. Le choc est encore plus rude pour Petit-Pied, qui se pense responsable de cette mort : c’est à cause de son insouciance que le T-Rex les a attaqués… Orphelin, séparé du reste de son troupeau, Petit-Pied rencontrent sur sa route d’autres enfants perdus avec lesquels il se crée une nouvelle famille. Peu à peu, lentement mais sûrement, il reprend goût à la vie grâce à ce tout jeune clan d’abord disparate puis très uni. Ainsi ce film parle également de tolérance : Petit-Pied et ses amis mettent fin à un cloisonnement entre les races de dinosaures perpétué sans raison depuis des milliers d’années.

Ce nouveau succès le mène à porter à l’écran en 1989 les aventures de Charlie, un chien accro aux jeux d’argent qui se fait assassiner par son associé, Carcasse. Mais Charlie, grâce à son esprit roublard, s’échappe du Paradis et revient sur Terre au risque d’être damné. Farouchement décidé à se venger, il fait la rencontre d’une petite orpheline, Anne-Marie, qui a la faculté de parler aux animaux. Sous couvert de devenir son protecteur, il se sert d’elle pour tirer les vers du nez des animaux de courses et gagner tous ses paris. Mais à sa grande surprise, Charlie s’attache à Anne-Marie, et se sacrifie pour la sauver. La scène d’adieu entre Anne-Marie et le fantôme de Charlie est forte en émotion. Une fin en demi-teinte, à la fois heureuse (Anne-Marie a été adoptée, Charlie est accepté au paradis) et terrible (la mort va les séparer pour toujours) qui laisse une trace éternelle dans le souvenir de tout jeune spectateur.

Don Bluth n’hésite pas à aborder des sujets forts et graves, au cœur d’univers sombres et violents à travers ses films pour enfants. Mais la poésie de ses personnages, de sa mise en scène et aussi de l’écriture de ses scénarios permettent aux jeunes spectateurs de n’en capter que des sensations : joie, tristesse, peur, espoir… Pour n’en comprendre le véritable sens qu’à l’âge adulte. Une double lecture qui fait de ses films des chefs-d’œuvre éternels et universels de l’animation.

Par : Kim Justine Gautier, publié le 26 juin 2018