Le sexisme à Hollywood

Cet article a été écrit avant que n’explose l’affaire “Harvey Weinstein”, qui a eu pour effet de réveiller les mentalités de l’etablishment hollywoodien. L’analyse statistique et sociétale sur la place des femmes reste pour autant toujours d’actualité. Focus sur les actrices et réalisatrices, dans un milieu dominé par la représentation masculine.

Largement étayé par les gender studies, le sexisme n’est guère une controverse récente au pays de l’Oncle Sam. En 2004 déjà, Geena Davis (La Mouche, Beetlejuice, Thelma et Louisa) lançait l’initiative www.seejane.org en pointant du doigt l’urgence de la situation : « Les femmes sont clairement sous-représentées à l’écran. Mais l’influence qu’exercent les images des films ou des médias peut permettre de changer les choses, et avoir un impact positif sur nos perceptions ». Dix ans plus tard, Cate Blanchett profitait de son discours de remerciement lors de la cérémonie des Oscars, pour dénoncer l’indigence des projets reçus par l’actorat féminin. Mêlant septième art et industrie comme nul part ailleurs, le cinéma hollywoodien véhicule des valeurs assimilées par des dizaines de millions de spectateurs. Si l’on dit que le cinéma est une fenêtre sur le monde, nous assimilons le way of life américain par le cadre de notre écran. Mais quelle vision de la femme y est transmise ?

« Elle glousse, il galope »

Tambour battant, les journalistes de “The Pudding” ont mené une analyse sémantique sur une base de 2000 scripts, et en ont extrait autant de stéréotypes genrés. Une actrice est censée « se blottir », « pouffer de rire », « sangloter », ou « hésiter », tandis que l’homme « tue », « hurle », « court » ou « attache ». Exemple emblématique relayé par la rédactrice Julia Sigle, Titanic de James Cameron ne fait pas figure de bon élève. Le scénario traduit une tentative de rapprochement entre Jack et Rose, où l’homme est vecteur de l’action, et la femme réduite à une gentille ingénue : « Rose souffle. Il n’y a rien dans son champ de vision, à part de l’eau… Elle se penche en avant, arquant son dos. Il met ses mains sur sa taille pour la stabiliser. Rose ferme les yeux… Elle sourit rêveusement, puis recule, posant doucement son dos contre sa poitrine. Il pousse légèrement contre elle ». La prise de conscience du cliché est immédiate, tant elle a trait à notre pop culture et nos émois cinéphiles. Rappelons que selon le “Center of Study of Women in Television, Film, and New Media”, 30% des dialogues accordés dans les films sont dédiés aux personnages féminins. Néanmoins, l’analyse de ces data-journalistes exclut des productions mineures en quantité, mais remarquables par leur propension à faire évoluer les mentalités… Quels sont ces films, et quels en sont les visages ?

Sexy et bankable ou moche et oscarisée : faîtes votre choix de carrière

Peu nombreux hier, les premiers rôles féminins dans des super-productions se multiplient aujourd’hui. En témoigne Charlize Theron, avec successivement “Mad Max: Fury Road” et “Atomic Blonde”. Jessica Chastain dans “Molly’s Game”, Margot Robbie et son double de “I, Tonya”, Jennifer Lawrence avec “Red Sparrow”. Représentantes du divertissement grand public, les comédiennes usent de leur aura glamour pour mieux s’en affranchir, et véhiculer l’imagerie d’une femme forte et indépendante. Un message puissant quant leur début de carrière se résume à faire-valoir leur acolyte masculin. Charlize Theron, bombe orgasmique dans “Celebrity”, Jessica Chastain écrasée par la vision nourricière de “Tree of Life”, Margot Robbie objectifiée dans “Le Loup de Wall Street”, Jennifer Lawrence en mutante sexy de “X-Men”. Des films dont le talent des cinéastes n’est pas remis en question. Mais des films, indéniablement, d’hommes.

D’après la New York Film Academy, 26,2% des actrices dans des productions US apparaissent nues ou partiellement nues, contre 9,4% pour leurs homologues du sexe opposé. Dans une société qui voue un culte au corps, l’enlaidissement postiche est le remède pour échapper à des partitions sexistes. Dans “Monster”, Charlize Theron a accepté une prise de 15 kilos pour incarner une prostituée obèse au destin tragique (oui, ça fait beaucoup). Un engagement extrême remarqué par la profession, et récompensé par l’Oscar de la meilleure actrice. Construire une image par sa plastique, puis la déconstruire en une performance : la trajectoire d’une carrière acclamée laisse à désirer. Si la métamorphose physique engendre une reconnaissance critique, pourquoi accepter des licences convenues dont le credo pourrait être “sois belle et tais-toi” ? Les cachets, à plus d’un titre avantageux. Qui permettent d’aborder une problématique inéluctable : l’égalité salariale.

À la conquête de la parité financière

En 2015, la Californie votait la loi “Fair Pay Act” en faveur de l’alignement des payes, plus contraignante que toute autre jusqu’alors. Chaque nouvel été, le classement des meilleurs cachets hollywoodiens démontre l’exact inverse. En 2017, Mark Wahlberg dominait le podium avec 68 millions de dollars, tandis que la première femme à être citée, Emma Stone, n’engrangeait que 26 millions de dollars. Soit un rapport de 1 pour 3. Sharon Stone se confiait récemment sur sa difficulté à faire valoir ses prétentions salariales dans les années 90 : « Je me souviens que je m’asseyais dans ma cuisine avec mon manager, en train de pleurer, et de me dire que je n’irais pas travailler tant que je ne serais pas payée ». Bien que sortie du succès international de Basic Instinct, l’actrice a ravalé sa fierté pour tourner, et émet une morale cruelle : « Je reste moins payée que n’importe quel autre acteur ».

Au-delà des sommes faramineuses, cette disparité touche toutes les strates professionnelles de l’audiovisuel américain, comme l’a révélé en 2014 le Sony Gate. Avec des milliers de documents internes rendus accessibles sur Internet, nous apprenions que Jennifer Lawrence et Amy Adams avaient bataillé ferme pour obtenir le même salaire que les acteurs titres d’American Bluff. Peine perdue. Surtout, sur une liste de 6 000 employés du studio, 17 d’entre eux touchaient plus d’1 million de dollars annuel. Dans le lot, une seule femme. Et s’il fallait une preuve de plus pour souligner cette aberration honoraire, à compétences similaires et pour le même poste de directeur de production, Michael de Luca et Hannah Minghella enregistraient une différence annuelle de 1 million de dollars. Pas besoin de préciser en faveur de qui, bien qu’un mouvement de fond tende à nous faire garder espoir. Pour “Passengers”, Jennifer Lawrence a négocié un cachet supérieur à son partenaire de jeu, Chris Pratt, pourtant sorti du succès retentissant de Jurassic World. Même constat pour Charlize Theron, dont la signature pour “Blanche-Neige et le Chasseur 2” exigeait de gagner autant que les acteurs. Loin des têtes d’affiche confirmées, Gal Gadot a touché 300,000$ net pour Wonder Woman (hors bonus), film au marketing féministe parfaitement rôdé. À titre de comparaison, Henry Cavill cumulait 14M$ pour Man of Steel (avec bonus), tandis que Robert Downey Jr. a empoché 50M$ pour le premier Iron Man. Les films engagés, la nouvelle manne profitable des studios… au détriment des femmes ?
La tendance controversée du “girly movie”

Pitch Perfect, Bridesmaids, Bachelorette, les distributions entièrement féminines fleurissent sur nos écrans. Ghostbusters 3 a ouvert la voie à un phénomène complètement inédit avec le reboot de la licence culture. Melissa Mc Carthy, Kristen Wiig, Leslie Jones et Kate McKinnon ont remplacé le cast masculin, accompagnées d’un Chris Hemsworth en secrétaire sexy. Le bad buzz n’a pas tardé à suivre avec son lot de remarques misogynes. Fait rare, la bande-annonce comptabilisait 1 million de dislikes pour 300,000 likes, sur un total de 44 millions de vues. Malgré l’ensemble des échos négatifs, qui sait que la production s’est payée le luxe de rentrer dans ses frais, avec 220 millions de billets verts au box office mondial. La stratégie gagnante des studios s’appuie sur ce mantra : mieux vaut faire parler en mal, que ne pas faire parler du tout. L’ennemi de la communication reste le silence. Le bruit des controverses a occulté la qualité réelle du film, et prépare le public à une nouvelle salve de films pseudo féministes.

Si l’on vous proposait de renouveler des licences moribondes, sans une once d’innovation et à moindre coût, qui ne signerait pas immédiatement. Le commentaire paraît cynique ? Ocean’s Eight a tout ravi aux Ocean’s de Soderbergh, remakes de “L’Inconnu de Las Vegas”. Le recyclage intensif tourne à plein régime, au service d’une politique mercantile ravivée par la vague féministe. Le projet de live-action de Mulan, ou l’extension de l’univers Spiderman avec “Black & Silver” actuellement en pré-production, en annoncent les prochaines étapes. Les genres sont plus clivés que jamais : hommes et femmes, séparés, ciblés, cristallisés. Et si l’on faisait avancer les lignes à l’image de Kathryn Bigelow, qui s’empare de sujets sociétaux qualifiés de masculins ? Le trouble homo-érotique dans “Point Break”, la critique des dérives machistes de la lutte antiterroriste de “Zero Dark Thirty”, la frustration sexuelle des personnages de “Strange Days”… Seule réalisatrice consacrée aux Oscars pour Démineurs face à son ex-mari James Cameron, elle porte un regard sensuel sur le corps des hommes, et transforme les femmes en guerrières badass. Dans un même temps, elle reste cantonnée aux moyens plus restreints de la filière indépendante. Le regard des auteurs féminins ne serait-il pas le contrepoids à l’hégémonie masculine ?

Les quotas : est-ce qu’imposer est ostraciser ?

Le cliché veut que les femmes soient des réalisatrices de l’intime, et les hommes de l’action. C’est Rebecca Zlotowski, la française à l’origine de “Planétarium”, qui en parle le mieux : “C’est un problème de budget. Si les femmes filment le corps, c’est parce que le cinéma grand spectacle coûte cher. Et généralement, on ne confie aux femmes que des budgets de films modestes.” Lors du rapport annuel de UCLA sur la diversité, il apparaît qu’Hollywood compte seulement 10% de réalisatrices pour 90% de réalisateurs. Des professionnelles de l’audiovisuel qui demandaient en août dernier d’établir des quotas, pour celles qui, faut-il le rappeler, constituent la moitié de la population américaine. Quand la concurrence masculine se voyait confier un épisode de série après la réussite de leur premier court métrage, on leur répondait : « Oh, il faut que vous ayez déjà réalisé un épisode de télé, on ne peut pas être votre premier. », ou « Faites-en encore un ! ».

Cette représentation minoritaire, l’emblématique figure indie Kelly Reichardt la ressent jusque dans les angles journalistiques : “Quand j’entends une question qui commence par “en tant que femme”, je sais que nous n’allons pas parler beaucoup de plans, de mouvements, de caméras, de montage, ou de son”.  La réponse de la cinéaste pourrait ressembler au déni d’un art féministe. En réalité, elle rapporte que désigner c’est déjà ostraciser, et produire l’inverse de l’effet escompté. Entre toutes et tous, une fratrie a été exceptionnellement intégrée par le système. Les Wachowski détonnent, en démontrant leur capacité à porter leur regard visionnaire dans des blockbusters mainstream. Frères devenus sœurs, leur chef d’oeuvre lesbian “Bound” clôt la boucle : on peut-être un homme pour parler de femmes, comme votre rédacteur, et inverser ensuite le rapport. Le cinéma n’a pas de sexe. Nous ne naissons pas tous femmes, mais tout un chacun peut devenir réalisateur.

Par Marin Woisard, actualisé le 8 mars 2018

Sources : Acteurs et actrices les mieux payés d'Hollywood : les hommes restent en haut de l'affiche
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