Les défis du cinéma libanais

Il y a près d’un an, Nadine Labaki recevait le Prix du Jury à Cannes pour Capharnaüm, retraçant le parcours de Zaïn, 12 ans, qui tente de trouver un sens à son destin au milieu des bidonvilles de Beyrouth. La réalisatrice libanaise vint accepter son prix accompagnée de son jeune acteur. Elle livra un discours vibrant sur la condition de nombreux enfants dans son pays et sur la capacité du Cinéma à la mettre en lumière : « Le Cinéma est aussi fait pour faire réfléchir, pour montrer l’invisible, pour dire ce qu’on ne peut pas dire. (…) Je voudrais aussi dédier ce prix à mon pays, qui malgré tout ce qu’on lui reproche se débat comme il peut ». Cette année, la réalisatrice présidera le Jury d’Un certain regard. L’occasion de revenir sur la situation du 7ème art dans son pays d’origine.

Nadine Labaki en tournage

Un Cinéma comme résonnance à la situation du pays

Le rayonnement du Cinéma libanais existe aujourd’hui en grande partie grâce à quelques uns de ses cinéastes dont les films circulent dans des festivals internationaux. Avec Capharnaüm, c’était la première fois depuis 1997 qu’un film d’un réalisateur libanais était en compétition dans le plus grand festival de Cinéma au monde. Cette année là, c’est « Hors la vie » de Maroun Bagdadi, contant l’histoire d’un photographe français enlevé à Beyrouth, qui avait remporté le prix du Jury à Cannes.

Les films libanais n’ont pas toujours été hantés par l’histoire récente du pays, les années 1960 ont été marquées par le Cinéma singulier de Georges Nasser, par des comédies musicales ou des films populaires en langue arabe. Mais depuis les années 1970, les conflits multiconfessionnels ont inondé les sujets du Cinéma libanais avec des films tels que « Beyrouth, jamais plus » (1976) de Jocelyne Saab ou « Beyrouth fantôme » (1999) de Ghassan Salhab. La guerre civile joue aussi un rôle fondamental dans le dernier film du réalisateur Zouad Doueiri, « L’Insulte », qui retrace l’histoire d’une altercation ayant dégénéré entre un chrétien libanais et un musulman palestinien. Œuvre universelle traitant de justice et de pardon, son film, récompensé à la Mostra de Venise et nommé aux Oscars, a fait l’objet d’une grande reconnaissance internationale. Cette réception a donné au réalisateur l’occasion de s’exprimer sur l’état du 7ème art dans son pays, soulignant qu’il manquait cruellement de productions et de financement.

 

Entre difficultés de financement et censure

En effet, les cinéastes libanais ont longtemps dû collaborer avec des producteurs étrangers pour que leurs films puissent exister, faute de financement et d’industrie nationale. C’est le cas y compris pour Nadine Labaki, Ziad Doueiri ou Maroun Bagdadi. Dans un pays où la télévision est reine et où les aides étatiques à la culture sont quasiment inexistantes, il est de plus en plus difficile d’assurer des productions au niveau national. Le Cinéma s’est retrouvé perdant de retournements politiques incessants. A l’image de ce qui devait incarner la plus grande salle de Cinéma du bassin méditerranéen, le Dôme, dont la construction a été interrompue par la guerre en 1975 et dont la forme inachevée trône désormais de manière spectrale dans la ville après avoir servi d’abri aux soldats. Le manque de financement n’est pas le seul obstacle à l’essor d’une création nationale. Au Liban, les films sont systématiquement visionnés par des agents du département des médias au sein de la sûreté générale, et il arrive que les autorités religieuses, le Hezbollah ou l’armée soient invités à donner leur avis sur des passages controversés. Un comité de censure autorise ensuite ou non un film à être diffusé sur le territoire. Les démarches préalables aux tournages sont également dissuasives pour les cinéastes souhaitant travailler sur le territoire, qui doivent soumettre leur scénario à des instances de contrôle bien en amont de la réalisation. Les difficultés de financement et le risque de censure ont eu tendance à dissuader les jeunes réalisateurs. Ce découragement fait écho à la programmation des salles de cinéma du pays, composées en grande partie de multiplexes qui diffusent plus volontiers des blockbusters américains que des productions locales.

Le “Dôme” à Beyrouth

Le soutien essentiel d’acteurs non étatiques

Des acteurs ont cependant su répondre à cette situation en rendant certaines initiatives indispensables à la survie du Cinéma libanais. En 2006, l’unique salle d’art et d’essai du Liban est ouverte : le Metropolis. Elle est aujourd’hui la seule structure à proposer une programmation alternative aux multiplexes de Beyrouth et laisse ainsi une place d’honneur aux films d’auteurs et nationaux. Hania Mroue, la directrice du Metropolis, affiche sa volonté de promouvoir un art local et indépendant à grands renforts d’une ligne audacieuse et d’évènements organisés au sein de son cinéma. Le soutien au Cinéma indépendant libanais est également incarné par d’autres acteurs. Comblant un déficit d’intérêt national pour la question, l’Institut français au Liban organise de nombreuses initiatives en faveur du soutien au 7ème art. Il transpose ainsi dans des écoles libanaises des programmes d’éducation à l’image, propose des projections itinérantes de films français et libanais et organise des ateliers de coproductions avec le CNC. La Fondation Liban-Cinéma, quant à elle, a plusieurs missions dont celles de travailler à la création d’un fond de soutien pour le Cinéma national, d’organiser des formations continues pour les cinéastes ou d’assurer l’information sur le paysage audiovisuel. C’est très certainement grâce à ces acteurs passionnés et dévoués que le Cinéma libanais n’a pas été totalement asphyxié et qu’on a pu voir apparaître dans des festivals internationaux des films de jeunes cinéastes tels que Tramontane de Vatche Boulghourjian ou Very Big Shot de Mir-Jean Bou Chaaya.

Le Cinéma d’art et essai “Metropolis”

Ces cinq dernières années, le nombre de productions est passé de cinq à trente films par an dans le pays du cèdre. Malgré des difficultés liées à la guerre civile, au financement et à la censure, des acteurs déterminés tentent d’assurer une continuité dans la création et l’audience de ces films. Ces actions et la résonnance internationale de certaines œuvres comme celles de Nadine Labaki permettent d’espérer une survie du Cinéma libanais et même son essor de plus en plus marqué.

Claire Schmid