Michel Ocelot : une œuvre de “grand”

La filmographie de Michel Ocelot, des films pour enfants ? C’est précisément parce qu’il ne s’adresse pas à eux que le réalisateur français les touche autant, sans oublier les adultes à qui il dévoile de courts en longs métrages une oeuvre sublime et singulière. A l’occasion de la sortie de son dernier film, “Dilili à Paris”, retour sur l’oeuvre du “père de Kirikou”.

Michèle Ocelot© MaxPPP (droits réservés)

Michel Ocelot : des débuts à Kirikou
Après une naissance sur la Côte d’Azur, une enfance en Guinée-Conakry et une
adolescence à Angers, Michel Ocelot étudie les Arts décoratifs à Paris. Passionné de
dessin, de cinéma et de contes, il trouve sa voie dans l’animation qu’il part étudier à Los
Angeles. Mais c’est dans sa vie personnelle qu’il trouvera inspiration et identité artistique.
Après de nombreux courts-métrages et une série télé (“Gédéon”), il écrit enfin son
premier long : “Kirikou”, qui le rendra célèbre. Malgré l’absence de publicité, c’est un énorme
succès à sa sortie en salles en 1998. Inspiré de contes traditionnels africains, il met en
scène un garçon, “petit mais vaillant”, qui se soulève contre la tyrannique sorcière Karaba.
Le sage Kirikou est le seul à poser la question qui importe : “Pourquoi est-elle aussi
méchante ?”. C’est en allant au-delà des apparences qu’il sauvera son village. Une morale
forte, de la musique entraînante et de l’humour saugrenu : une recette singulière qui
fonctionne et fait de Michel Ocelot une icône de l’animation française.

 

Kirikou et la Sorcière · Kirikou dans la calebasse. © 1998 Kirikou

Silhouette : contes et théâtre d’ombres
Très vite intéressé par la silhouette, l’artiste utilisera beaucoup cette technique de
théâtre d’ombres, aussi peu onéreuse qu’intrigante à ses yeux. Il réalisera des films dont le
fil conducteur est un projectionniste dans un théâtre.Ce dernier y met en scène des histoires
avec l’aide d’un garçon et d’une fillette, tour à tour conteurs et acteurs. Les papiers
découpés de Michel Ocelot prennent vie avec des décors colorés et majestueux, mais aussi
avec des costumes dorés sublimes et des doubleurs investis. Il maniera avec virtuosité cet
art qu’il s’approprie merveilleusement avec la série “Ciné Si” en 1989 (qui deviendra
“Princes et Princesses” sur grand écran en 2000). Viendront ensuite “Les Contes de la Nuit”
en 2011 puis “Ivan Tsarevitch et la princesse changeante” en 2016. On y voit des
malédictions, des récits initiatiques, des destins extraordinaires et des sorts tragiques. Un
vrai régal pour les yeux et pour le coeur.

Car les légendes, Michel Ocelot les utilise dans ses films pour donner des messages
sans en avoir l’air, tout en “créant du beau”. Il parle violence, injustice et mal sans jamais
choquer. Sa philosophie au crayon aborde la noirceur en couleurs, montre le drame en
insérant la beauté. Une poésie à couper le souffle qui impacte tous les âges. Venues d’Inde,
de Russie, d’Arabie ou d’Egypte, ses histoires émerveillent, effraient et touchent aussi bien
l’adulte que l’enfant. Etrangement (ou non), les pirates, princesses, magiciens, loup-garous
ou sorcières nous éclairent sur le vrai, l’intemporel comme le présent. Des thèmes actuels et
éternels à la fois.

Dilili à Paris · La grande descente vers l’Institut Pasteur. © 2018 Nord-Ouest Films · Studio O

Longs métrages : de “Azur et Asmar” à “Dilili à Paris”
Et c’est dans ses longs métrages, uniques, que Michel Ocelot synthétise le mieux
son art et sa pensée. Si “Kirikou” a droit à deux suites, “Kirikou et les bêtes sauvages”
(2005) et “Kirikou et les Hommes et les Femmes” (2012), c’est uniquement du fait des
spectateurs qui les lui réclamaient. Le film aurait pu se suffire à lui-même, comme l’a fait
“Azur & Asmar”.
Sorti en 2007, le premier film en 3D du réalisateur raconte comment deux frères de
lait vont devenir des ennemis. L’un est prince, blond aux yeux bleus ; l’autre est le fils de la
nourrice, brun aux yeux noirs. Devenus adultes, leurs chemins se séparent mais une quête
les réunit : celle de la Fée des Djinns. “Azur et Asmar” est un récit de tolérance, d’amour et
de paix qui brille de mille feux et qui reste longtemps dans les têtes. Bouleversant et
visuellement prodigieux, son chef d’oeuvre n’aura pas de “sequel”…
“Dilili à Paris” n’en aura probablement pas non plus. Au cinéma dès le 10 octobre, le
film suit une fillette kanake en pleine découverte de Paris. Avec l’aide d’un jeune triporteur,
elle parcourt la capitale à la recherche de fillettes disparues, enlevées par les Mâles-Maîtres.
Comme toujours, Michel Ocelot sait aborder des thèmes graves sans heurter les sensibilités.
Oui, on parle de faits atroces mais cela ne fait jamais aucun doute : la candeur et la
pugnacité de Dilili auront raison des kidnappeurs. Nul besoin de tomber dans le glauque
pour parler de violences faites aux femmes, il suffit d’une belle histoire, de protagonistes
courageux et d’un décor merveilleux.

Parce qu’au début du XXe siècle, pendant la Belle Époque, Paris est belle,
flamboyante, remplie d’artistes et scientifiques de renom. Dans son enquête, Dilili croise
aussi bien Pasteur que Sarah Bernhardt, Eiffel ou Monet. Des couleurs chaudes et orangées
d’Azur et Asmar on passe aux couleurs vives et au jaune de “Dilili”. Esthétiquement encore
plus abouti, il nous emporte, nous amuse et nous émeut. Une fois de plus, Michel Ocelot a
réussi… On est ravi qu’il nous offre aujourd’hui un nouveau long-métrage, car même si l’on
est friand de ses “silhouettes”, ses productions singulières nous touchent davantage..
L’oeuvre de Michel Ocelot n’est peut-être pas aussi détaillée que l’animation
Disney/Pixar mais elle est plus que fabuleuse à regarder. A sa beauté, il faut ajouter un
supplément d’âme inégalable, qui inspire toute une génération de jeunes animateurs et de
(plus ou moins) jeunes spectateurs. Alors, à quand le prochain long ? On vous laisse déjà
découvrir “Dilili à Paris”…

Par Charlotte Loisy, 2.novembre 2018