Otto Preminger, réalisateur de tous les interdits

A partir de 1944 et de Laura, le nom d’Otto Preminger s’est installé dans le monde du cinéma hollywoodien. Cette arrivée aux Etats-Unis, Otto Preminger la voit comme une renaissance, et, au cœur d’une Amérique marquée par la censure, le réalisateur décide que personne ne lui interdira de réaliser des films.

Otto Preminger sur le tournage de Première Victoire (Source: Arte)

Un réalisateur indépendant…

En premier lieu homme de théâtre, Otto Preminger se tourne, à son arrivée aux Etats-Unis en 1935, vers le cinéma. Le 21 octobre, il aperçoit la Statue de la liberté pour la première fois. Son arrivée sur le territoire américain lance sa carrière cinématographique, qui après des débuts hésitants, lui confère une image de marque en tant que cinéaste. Il s’impose alors comme un homme de talent avec de nombreux films très souvent salués par la critique. Mais rapidement, son franc parlé (il n’hésite pas à dire à Darryl Zanuck, vice-président et directeur de la Twentieth Century Fox, que les scénarios de ses films sont mauvais), lui ferme une à une les portes des studios et celles du métier de metteur en scène.

En 1942, Otto Preminger est finalement réembauché par la Fox. Mais habitué à une certaine liberté qu’il avait en Autriche, le réalisateur souhaite conserver son indépendance et réussit à convaincre Zanuck d’ajouter une clause à son contrat lui permettant de réaliser des films indépendants ; il crée alors « Carlyle Productions ». Rapidement, il se détache du système de production hollywoodien qui l’étouffe et son premier film autonome, The Moon Is Blue, marque le début de son combat contre la censure de l’Etat et de l’Eglise catholique qui fait rage à cette époque.

… Dans une Amérique censurée

Dès le début des années 1930, le sénateur William Hays, président de la Motion Picture Producers and Distributors Association met en place un code de censure (code Hays), suite à plusieurs affaires, dont celle de Roscoe Aburckle (acteur accusé du viol et du meurtre de la jeune actrice Virginia Rappe). Avec à sa tête le très catholique et conservateur Joseph Breen, l’administration du code de production impose sa marque sur chaque film produit à Hollywood et applique une censure stricte. Crimes, sexualité ou encore propos contre la religion sont alors bannis des grandes productions. Ainsi, aucune sympathie ne doit émaner d’un criminel, aucun crime brutal ne doit être montré et la drogue, au même titre que l’alcool, sont prohibés à l’écran. Aucune forme de nudité ou de démonstrations affectives excessives ne peut être filmée et par-dessus tout, les relations hors mariages et l’adultère ne trouvent sous aucun prétexte leur place dans les scénarios des années 1930.

Un long combat contre le code et l’Eglise

Comme de nombreux réalisateurs, Otto Preminger n’échappe pas à l’administration du code et plusieurs de ses films sont ainsi attaqués par la censure. Dès son premier film indépendant, The Moon Is Blue, en 1953, le réalisateur se retrouve dans le collimateur du code Hays à cause des mots « virgin » (vierge) et « pregnant » (enceinte) prononcés à plusieurs reprises dans un cadre hors mariage. Mais malgré toutes les menaces de la Ligue de décence, Otto Preminger refuse de changer un mot de son scénario et s’octroie ainsi un triomphe auprès de la critique.

S’en suit une longue série de films sur des sujets sensibles, qu’Otto Preminger finance, produit et réalise seul, s’attirant chaque fois les foudres de la censure. Parmi nombre de ses films, on peut par exemple citer Carmen Jones, critiqué à cause de son casting composé uniquement d’acteurs afro-américains dans une Amérique marquée par la ségrégation, tandis que The Man With The Golden Hand (L’homme au bras d’or) choque par le thème central du film, le combat d’un drogué pour s’en sortir. En 1959, Anatomy Of A Murder (Autopsie d’un meurtre) surprend en évoquant un procès pour meurtre, contre un homme accusé de viol. Dans ce film, non seulement le viol est évoqué librement, mais en plus, toute l’intrigue repose sur la défense du meurtrier, qui aurait agi suite à une pulsion irrésistible…

Non content de s’attirer les foudres de l’administration du code Hays, Otto Preminger combat également la censure de l’Eglise, choquée par les libertés que se permet le réalisateur. Ainsi, Otto Preminger se retrouve poursuivi pour The Cardinal (Le Cardinal), qui évoque les relations intimes hors du mariage et la relation entre un juif et une catholique ou encore Exodus, qui traite de la création de l’Etat d’Israël. Les trois films évoqués précédemment sont également interdits au public catholique.

Comme il le dira à plusieurs reprises, Otto Preminger a vécu son arrivée aux Etats-Unis comme une véritable seconde naissance. L’Otto Preminger américain remplace alors rapidement l’Otto Preminger viennois. Cependant, de son origine autrichienne, le réalisateur gardera une notion très européenne qui dirigera tous ses films, celle d’auteur-réalisateur, qui ne le fera reculer devant aucune menace de la censure.

Sources

• Patrick Saffar, Otto Preminger, de films noirs en fresques spectaculaires : l’œuvre multiforme du créateur de Laura, Gremese, 2009, 144 p.

• http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1987_num_15_1_1879 : Le Code Hays, l’autocensure du cinéma américain, par Francis Bordat

Par Sarah Metzger